Le BAIL face aux procédures collectives
Même si le nombre de défaillances d’entreprise a légèrement diminué sur l’année 2016, près de 60.000 entreprises se sont retrouvées entre les mains de procédures collectives emportant avec elles leur bail commercial.
Côté bailleur, comme
côté preneur, il importe
de comprendre
le sort du bail dans un
domaine où les intérêts
des créanciers et de sauvegarde
de l’entreprise priment souvent sur
les dispositions contractuelles du
bail.
Il sera donc fait un tour d’horizon
  pour observer ce qu’il advient du
  bail en cas de procédures collectives. 
I. La résiliation du bail et l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre du Preneur
Il importe tout d’abord de préciser
  que tant qu’une décision définitive
  portant sur la résiliation du bail
  n’est pas intervenue avant l’ouverture
  d’une procédure collective à
  l’encontre du Preneur, le bail peut
  être « récupéré » par les organes de
  la procédure collective.
  L’ouverture de cette procédure
  collective va engendrer, pour le
  Preneur, l'interdiction de payer les
  créances antérieures au jugement
  d'ouverture et, pour le Bailleur, la
  suspension ou l'interdiction des
  actions en résiliation du bail pour
  défaut de paiement des loyers antérieurs.
  
  Il est même fait interdiction au
  Bailleur d’introduire ou de poursuivre
  une action en résiliation
  du bail pour une occupation
  postérieure au jugement avant
  l’expiration d’un délai de carence
  de 3 mois après le jugement
  d'ouverture.
  
  Le régime spécial des
  baux commerciaux
  ne permet
  d’ailleurs
  pas de faire constater après jugement
  d’ouverture l’application
  d’une clause résolutoire ayant joué
  avant jugement d’ouverture, et ce à
  l’exception d’autres contrats.
  
  L’attention de nos lecteurs sera
  toutefois portée vers un arrêt intéressant
  rendu le 18 mai 2016 par la
  chambre commerciale de la Cour de
  Cassation qui a jugé, et il s’agit d’un
  revirement de jurisprudence, que
  le dessaisissement du Preneur par
  l’effet de sa mise en liquidation judiciaire
  n’emporte pas changement de
  capacité au sens de l’article 531 du
  Code de procédure civile, et que dès
  lors l’ouverture de la procédure de
  liquidation judiciaire n’interrompait
  pas le délai ouvert au débiteur pour
  interjeter appel d’une décision qui
  lui a été signifiée avant le jugement
  d’ouverture.
  
  Ceci pourrait avoir une incidence
  quant aux délais laissés au Liquidateur
  pour interjeter appel de la décision
  prononçant la résiliation du
  bail.  
II. Le sort du bail en cas de plan de cession
  Le plan de cession qui est évoqué ici
  envisage la cession de l’entreprise
  du Preneur dans le but de préserver
  son activité et si possible une partie
  de ses emplois. Des intérêts publics
  liés à la sauvegarde de cette activité
  et de ses emplois et au désintéressement
  des créanciers viennent donc
  primer sur les intérêts privés du
  Bailleur.
    
    C’est pourquoi, dans ce cadre, la
  cession judiciaire du bail est dite
  « forcée » et les clauses du bail
  encadrant sa cession sont privées
  d’efficacité (clause de préférence,
  d’agrément préalable du bailleur,
  clause prévoyant un certain
  formalisme…).
    
    Un arrêt rendu par la Cour de cassation
  le 1er mars 2016 a encore
  récemment jugé inefficace la clause
  imposant la rédaction de la cession
  du bail par acte notarié.
    
    Précisons également que la loi Pinel
  du 18 juin 2014 a introduit la notion
  de « cession-déspécialisation »
  (Nouvel alinéa 4 de l’article L.642-
  7 du Code de commerce), qui prévoit
  la possibilité pour le repreneur
  d’être autorisé par le Tribunal à adjoindre
  à l’activité du bail des activités
  connexes ou complémentaires.
Ceci marque une véritable immixtion
  du juge dans la sphère contractuelle,
  et ne permet que trop peu de
  marge de manoeuvre au Bailleur qui
  peut se voir imposer une nouvelle
  activité au bail, en sus d’un nouveau
  cocontractant, et alors même qu’il
  doit seulement avoir été « entendu »
  ou «dûment appelé » par le Tribunal
  sur la déspécialisation sollicitée par
  le repreneur.  
III. Le sort du bail en cas de cession isolée des actifs
Il est ici question de la cession du
	  bail lorsque aucune poursuite de
	  l’activité du Preneur n’a pu être envisagée,
	  en phase liquidative.
	  Dès lors, les dispositions de l’article
	  L.641-12 du Code de commerce
	  prévoient que le liquidateur peut
	  céder le bail « dans les conditions
	  prévues au contrat conclu avec le
	  Bailleur avec tous les droits et obligations
	  qui s'y rattachent ».
Le principe est donc que les clauses
	  du contrat réglementant la cession
	  du bail retrouvent toute leur force
	  et efficacité. Le liquidateur ne peut
	  donc imposer un nouveau Preneur
	  au Bailleur qu’en respectant les
	  dispositions relatives à la cession du
	  bail telles que prévues au contrat. 
	  Toutefois, le législateur a apporté
	  une limite à ce principe en réputant
	  non écrite toute clause imposant au
	  cédant des dispositions solidaires
	  avec le cessionnaire.
	  
	  Ainsi, le Bailleur sera privé de cette
	  solidarité souvent convenue dans
	  les baux lui permettant d’aller rechercher
	  la garantie du cédant en
	  cas de défaillance du repreneur.
	  Cependant, en pratique, le cédant,
	  déjà entre les mains d’une procédure
	  collective, sera dans l’incapacité
	  matérielle de régler les dettes du
	  repreneur.
	  
	  Il est toutefois possible de prévoir
	  dans le bail une clause de solidarité
	  inversée mise à la charge du cessionnaire,
	  dont l’efficacité a été admise
	  par la jurisprudence.	  
En conclusion, le bail est considéré non pas comme un contrat classique mais davantage comme un des actifs de l’entreprise les plus indispensables à sa survie lorsque celle-ci est encore possible, voire, dans le cas contraire, comme l’un des actifs importants à « monnayer » en vue de désintéresser les créanciers. Son sort dépend donc surtout du sort de l’entreprise et de l’état de la procédure collective. Toutefois, les parties à un contrat de bail ne sont pas totalement démunies et il existe des techniques contractuelles particulièrement utiles à envisager notamment lors de la rédaction du bail commercial, pour protéger, autant que possible, le Bailleur mais également le Preneur.
Karine MATHOU
					    article paru dans "La Tour Immo"
					    
					 Le Mag n°5, rentrée 2017
					  
